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qui nous est restée, même après avoir visité, dans la suite, les cités les plus renommées des autres provinces.

Notre commensal le juge de paix nous dit que la capitale du Sse-tchouen était une ville toute moderne, l’ancienne ayant été complétement réduite en cendres par un effroyable incendie. Il nous raconta, à ce sujet, une anecdote ou plutôt une fable que nous rapporterons volontiers parce qu’elle est tout à fait dans le goût chinois : Quelques mois avant la destruction de l’ancienne ville, on vit apparaître un bonze qui parcourait les rues en agitant une clochette et s’arrêtant de temps en temps pour crier au peuple : « I-ko-jen, leang-ko-yen-tsin, » c’est-à-dire : Un homme et deux yeux. D’abord on ne fit pas grande attention à cette bizarrerie, un homme et deux yeux, cela paraissait assez naturel ; une vérité de ce genre ne méritait certainement pas d’être proclamée si solennellement et avec tant de persistance. Comme le bonze ne discontinuait pas de répéter sa formule du matin au soir, on désira savoir dans quel but il ne cessait de parcourir les rues en redisant toujours les mêmes paroles ; à toutes les questions qu’on lui adressait, il répondait invariablement : « Un homme et deux yeux. » Les magistrats s’en mêlèrent ; mais ils ne furent pas plus avancés. On fit des perquisitions, et il fut impossible de découvrir d’où ce bonze était sorti : personne ne l’avait jamais connu ; on ne le voyait ni boire ni manger ; il employait toute la journée à parcourir la ville, très-gravement, les yeux baissés, agitant sa clochette et criant sans cesse au public : « Un homme et deux yeux. » Le soir, il disparaissait sans qu’on pût jamais découvrir où il allait passer la nuit. Cela dura à peu près pendant deux mois, et per-