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l’entendait, et la mit au centre de tous les foyers.

Une grande cabane, faite de planches et couverte de roseau, se dressa trois jours après, à côté de leur hutte. Elle était achalandée de marchandises variées, telles qu’en ville même en n’en rencontrait que rarement. Un large avant-toit de jonc, formant terrasse, invitait à son ombre tout un monde brûlé par la canicule et avide de rafraîchissements.

De ceux-ci, il s’en trouvait pour tous les goûts, tous les âges et toutes les bourses : vin, eau-de-vie, liqueurs, pour les hommes ; limonades, pastèques, melons, pour les femmes et les enfants, le tout enfoui dans le sol, d’où chaque article sortait froid comme s’il avait été à la glace.

Certes, la vente se faisait la plupart du temps à crédit, les gens manquant d’argent ; mais Tsatsa-Minnka, tavernière passionnée et maîtresse cette fois de son destin, n’y faisait guère attention. Elle donnait, donnait, sa vie en même temps que sa marchandise.

Voir le bonheur que pouvait provoquer sur des visages épanouis, un kilo de pain noir, ou un morceau de fromage, ou une pastèque emportée par un enfant friand, parfois une simple bougie d’un sou, c’était pour Tsatsa-Minnka plus que si on lui avait offert une couronne de reine. Elle en jouissait plus que le possesseur de l’article pris à crédit ou donné.

À l’égard des boissons alcooliques, elle avait une attitude différente. Pas d’ivrognerie froide, pas d’abus insensé, que ce fût à crédit ou en payant comptant :

— Le vin, c’est une passion, disait-elle, une passion qui doit toujours être belle, autrement, ce n’est que dépravation. Et sans une telle passion, l’homme peut boire de l’eau, mais il ne peut pas manger des pierres.

Elle ne marquait rien de tout ce qu’elle vendait à crédit. Ce sont ses débiteurs qui venaient lui dire