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jeannes partaient pour une destination connue du seul tejghetar.

Mais c’était l’épicerie qui montrait la plus cruelle dévastation.

À l’exemple d’une grande charcuterie, d’un beau magasin de primeurs ou d’un restaurant oriental qui étale à la vue de chacun son appétissante cuisine, une épicerie, abondamment achalandée, n’est rien de moins que notre désir de vivre, aperçu à travers l’estomac.

Ce désir, que des milliers d’yeux avaient tant reflété « chez Sima », n’était plus maintenant qu’une poubelle. Caisses et sacs bouleversés, répandant leur contenu sur la terre. La charcuterie moisissait. Les tiroirs bayaient aux corneilles. Les rayons, autrefois richement garnis de boîtes de conserves, de paquets de chocolat et de toutes sortes de flacons, ressemblaient à une vieille bouche édentée. Le parquet était couvert d’olives, de noix, de noisettes, d’amandes, de raisins secs.

Dans l’ombre de ce cimetière, le soleil projetait, par les fentes des volets, ses faisceaux de lumière bleuâtre.

L’avalanche des dons en nature de Sima avait beaucoup contribué à cette dévastation, surtout le matin où le village apprit la mort du donateur. Les paysans, tout en le pleurant à chaudes larmes, se ruèrent vers la ville, pour toucher les provisions avant qu’il ne soit trop tard.

Alors on ne sut plus distinguer entre les dons et le pillage. On chargeait dans dix voitures à la fois, sans plus de contrôle. Les stocks mêmes du dépôt de marchandises furent en grande partie enlevés, on ne