Page:Europe (revue mensuelle), n° 99, 03-1931.djvu/114

Cette page a été validée par deux contributeurs.


DÉCOMPOSITION


Une bande de crêpe noir, longue de trente mètres, couvrait de deuil les deux grandes enseignes « SIMA CARAMFIL » formant l’un des angles du boulevard Carol et de la rue de la Victoire.

C’était un deuil qui ne suscitait que l’étonnement. Un autre, plein de sincère tristesse, s’étalait à l’intérieur, derrière les sept portes verrouillées de la belle entreprise : Taverne-Restaurant-Épicerie.

Le dernier mois, le défunt n’y avait plus mis le pied. Et à qui mieux mieux de chaparder ce qu’il avait sous la main. On le faisait tout naturellement, par accord tacite, chacun prévoyant ce dénouement fatal et n’ayant rien à craindre.

Maintenant, que les scellés y étaient apposés, un repos total plongeait les trois locaux dans un silence éloquent.

Dans le restaurant, la cuisine était veuve de sa belle batterie de cuivre. Plus une seule pièce. Tout avait été emporté le dernier jour du drame. Des tas de vaisselle et de services, non lavés, gisaient partout, au milieu de restes de viande et de légumes, qui commençaient à pourrir.

La taverne présentait un aspect moins lamentable, malgré le désordre de ses verres, de ses carafes et de ses bouteilles de liqueur. Ici, c’était au fond de la terre ou dans le dépôt des eaux-de-vie, qu’il fallait chercher la preuve du passage des vandales : les meilleurs vins, les plus fins rakis, avaient presque tous disparu. Depuis deux mois, chaque soir, d’énormes dames-