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— Bien. Mais, les gens, ont-ils les moyens de le faire ?

— On le fait quand même, « d’où il y a, d’où il n’y a pas ». Elle est maintenant la plus malheureuse de tout le village.

L’étranger tira d’une poche de son manteau un cornet et le mit entre les mains de la petite.

— Porte ça à ton père. Il y a, dedans, vingt francs et un bon de vivres. Dis-lui de prendre un sac et d’aller tout de suite, avec ce bon, à la maison du cantonnier. Là, il verra une grande voiture à bâche gardée par un homme. Qu’il présente le bon au gardien et qu’il charge les vivres qui y sont marqués. Bonsoir, mon enfant ! Je reviendrai.

— Mais, qui êtes-vous, néné ?

— Un homme malheureux, comme Tsatsa-Minnka.

C’était Sima, qu’on aurait difficilement reconnu, même s’il eût fait jour. Une phtisie galopante avait fondu son corps, l’avait rendu hideux. Sa barbe qu’il n’avait pas coupée depuis deux mois, poussait, sauvage, jusque sous ses yeux, dont le regard étrange ne rappelait plus Sima, mais le hibou.

Il quitta la voie ferrée et prit le chemin du village, trébuchant à chaque pas. Une vingtaine de cornets, pareils à celui qu’il venait de remettre à la fillette, alourdissait sa ghéba de tout le poids métallique qu’ils contenaient. Sima allait promptement en faire la distribution, en commençant par les familles les plus éprouvées.

De ce côté de la commune, les chaumières étaient alignées en bordure de la route, face au pâturage. Mais il n’y avait pas moyen de rien distinguer, tant le brouillard était opaque et la nuit noire.

Sima avançait à grand’peine, haletant, épuisé, pataugeant dans les mares et évitant les cadavres des