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pirable la rendait encore plus insinuante. Tout le village toussait, hommes et bêtes. Parfois, la brume était si épaisse qu’on ne découvrait le village qu’au chœur assourdissant des toux, qui montait de mille poitrines, comme d’une fosse, et qu’on entendait surtout lorsqu’on abordait l’Embouchure par la haute digue de la voie ferrée, en marchant à côté du rail.

Par un temps pareil, ce chemin était le plus sûr, car il vous y menait tout droit.

C’est celui qu’avait pris, un soir de ce même octobre un homme de toute petite taille, chaussé de bottes grossières, coiffé d’une caciula de fourrure d’agneau et enveloppé jusqu’aux yeux dans une ghéba commune aux paysans de la région. Il allait d’un pas hésitant, l’oreille au train et touchant le rail de sa canne, comme le font les aveugles. Souvent, une quinte de toux secouait douloureusement son corps maigre. Alors il s’arrêtait et lâchait un « ouff », s’essuyait les yeux, donnait un inutile coup d’œil à la ronde, dans la pâte laiteuse qui l’empêchait de voir, et repartait.

Il alla ainsi jusqu’à un passage à niveau, où il se heurta à une fillette.

— À qui es-tu ? demanda-t-il à la petite, en lui prenant la main.

— À Iléana et à Vassili le Long, répondit-elle, craintive, la voix éteinte.

L’inconnu frotta une allumette et vit deux yeux clairs, surmontés d’un front tout plissé.

— Ne saurais-tu pas me dire comment va Tsatsa-Minnka ?

— Elle est toujours malade et toujours seule.

— Qui la soigne ?

— Tout le monde, sauf ses parents. On lui porté des soupes chaudes et on lui fait le ménage. Hier, c’était notre tour de la soigner.