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Elle se réveilla, épouvantée de s’être endormie, malgré elle. Et tout de suite, un ronflement, venant de la chambre du père Ortopan, la frappa comme un poignard. Elle y entra, doucement, pour voir son Minnkou dans un état qui, d’horreur, lui fit se couvrir le visage.

Il dormait, tout habillé, dans le lit de son père, les vêtements inondés de vin rouge vomi, la figure congestionnée, la gueule ouverte, répugnante. De la poche supérieure de son gilet, un petit mouchoir de cocotte, à dentelle et à monogramme, pendait, à moitié tiré. Et c’est ce qui fit à Minnka le plus de peine.

Elle sortit. Machinalement, son âme la dirigea vers la Japsha Rouge, espérant peut-être y trouver le vieux nattier en train de reconstruire sa cabane. Elle mit presque une demi-journée pour y parvenir et ne trouva que l’emplacement solitaire de l’ancien nid du bonheur. Regardant le Sereth, elle lui dit :

— C’est à toi que je dois Minnkou, c’est toi qui me le reprends. Et mon âme avec.

Au retour, ses pieds furent encore lents à la reconduire à sa triste demeure, où une grosse surprise l’attendait : Minnkou avait disparu, en emportant tous ses effets, et avec eux, le peu d’argent qui se trouvait dans la maison.

Tsatsa-Minnka ferma les volets et se coucha.


« MILOSTIVUL SATULUI »
(Le miséricordieux du village).


Il pleuvait depuis quelques jours sur toute l’Embouchure, la vilaine « pluie du berger » qui vous passe à travers l’âme. C’était la bruine. Matin et soir, pendant de longues heures, un brouillard irres-