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Père Andreï l’attendait sur le pas de la porte. Il l’embrassa et lui dit, l’air navré :

— Ma fille, je te quitte ! Minnkou est parti à Braïla, vendre la voiture et le cheval que tu lui as achetés. Je ne reconnais plus mon fils ! Je m’en vais de par le monde !

Elle eut beau faire pour le retenir. Le vieillard s’en alla, le sac au dos.

Minnka fit aussitôt venir deux voitures du village, qu’elle chargea de presque toute l’épicerie et des boissons que contenait la boutique. Puis, allant de chaumière en chaumière, elle distribua le tout :

— De toute façon, expliquait-elle, il n’y a plus chez nous de clients à qui je pourrais vendre cette marchandise. Aussi, je la partage entre vous. Profitez-en, une dernière fois. Je ne tiendrai plus boutique. Je suis malade.

Les gens savaient quelle était sa maladie, mais ils n’osaient y faire allusion. D’ailleurs, ils étaient pour la plupart à moitié crevés. Ils se contentaient de recevoir et de remercier. Seuls les enfants s’écriaient :

— Tu ne seras plus épicière, Tsatsa-Minnka ?

À la nuit tombante, la malheureuse Tsatsa-Minnka rentrait chez elle, les bras ballants. Elle n’eut pas de larmes devant les rayons béants de son magasin ; elle n’eut que le cœur vide.

Ce cœur semblait se vider plus encore, à mesure que les heures passaient, longues, hurlantes, sans qu’elles amenassent Minnkou. Il lui était encore et toujours cher, malgré l’espoir qu’elle avait à jamais perdu de retrouver son amour.

Jetée, toute vêtue, sur le lit, elle ne ferma pas l’œil de la nuit, le cœur glacé, la tête bouillante. Le moindre bruit la faisait sursauter et courir à la fenêtre. Vers l’aube, un sommeil qui dura une demi-heure, l’engourdit.