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aussi basse. C’est la rage de l’époux, se jugeant outragé, qui l’avait poussé à de telles bassesses. Et, une fois sur cette pente, il ne s’arrêta pas. D’ailleurs, un tas de chenapans, dont il s’était entouré, dans sa détresse maladive, lui conseillait les pires ignominies :

— Déshabille-la, en pleine rue et en plein jour, mets-la nue et fouette-la !

— Coupe-lui la chevelure !

— Attire-la dans un lieu sûr et livre-la à une demi-douzaine de tsiganes !

Mais Sima aimait sa femme. Il l’aimait maintenant avec un cœur tenaillé par le sentiment d’avoir commis l’irréparable. Et quand ce sentiment s’empare d’un cœur qui aime, ce n’est plus de l’amour : ce sont les affres de la mort. L’âme de Sima se mourait. Pour lui, que Minnka lui revînt ou qu’elle restât à son aimé, le mal était le même. Il l’avait perdue.

Vieilli, amaigri plus encore, ne dormant et ne se nourrissant qu’aux heures où ses forces ne lui permettaient plus de se tenir debout, il passait ses nuits à maudire sa vie et sa fortune. Il ne s’intéressait plus à rien, indifférent aux vols, à ceux même qu’on commettait presque sous ses yeux. Une nuit qu’il se trouvait à sa fenêtre, à contempler la cour éclairée par la lune, il vit le tejghetar sortir du dépôt, et charger dans une voiture des sacs et des caisses de marchandises, dont il évalua froidement la valeur, sans broncher : « C’est pour mille francs de café vert et quatre cents francs de sucre. »

Un venin, encore inconnu, lui empoisonnait le sang : une haine qui embrassait tout ce qui existait. La mort lui semblait insuffisante, et la vie lui était insupportable. Il aurait donné toute sa fortune pour ne plus avoir de mémoire. Oui : pauvre, mendiant, mais ne plus avoir le souvenir de cette atrocité qui lui poignardait le cœur et le rendait fou.