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Ainsi que le pêcheur d’écrevisses le faisait sur la rive du Danube, soucieux uniquement de son gagne-pain, Minnkou enfonçait tous les soirs un bâton dans la glaise du Sereth, pour marquer la limite de la crue du jour. Le matin suivant, le cœur toujours plus gros que la veille, il allait revoir son bâton que l’eau, pendant la nuit, avait de beaucoup dépassé. Et il trouvait dans la crue de la rivière la confirmation de la croissance de sa passion pour Minnka.

Les Caramfil, eux, ne pouvaient pas enfoncer leur propre bâton, pour marquer la crue, mais le pêcheur d’écrevisses, calmement, se chargeait de leur enfoncer le sien dans le cœur, tous les matins :

— Le Danube monte, monte…

Ils en devinrent gourmands. Maintenant, ils ne manquaient pas un matin de se trouver dans la taverne à l’arrivée du pêcheur. Et lorsque celui-ci, craignant de les lasser, voulait parfois repartir sans plus parler du fleuve, les deux époux l’arrêtaient d’une seule voix :

— Et le Danube ?

Le vieux se retournait, paisible :

— Il monte toujours… Si ça continue, ce sera, avant peu, l’inondation.

Elle vint, sur la terre, en même temps que dans les âmes en détresse.

On était au début d’août. Depuis deux jours, des conciliabules fréquents avaient lieu entre Minnka et Catherine. Sima, abandonnant toutes ses courses et toutes ses affaires, les observait de près, avec beaucoup de prudence. Si bien que les femmes ne s’aperçurent de rien et crurent pouvoir tranquillement annoncer à Sima leur séparation de logement : Catherine déménageait.