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du calme dans le cœur. Sa sauvagerie les effrayait bien un peu, alors que chez elles, ou plutôt chez Sima, une nervosité permanente, malsaine leur donnait un profond dégoût de la vie. Minnka surtout vit clairement l’abîme qui la séparait de Sima et de ses entreprises. Elle ne se sentait faite, ni pour un homme si peu barbatt, ni pour collaborer à des affaires dont le but, — l’enrichissement pour l’enrichissement, — lui semblait insensé.

Ici, toute chose avait sa valeur humaine, sa raison d’être, depuis la coliba jusqu’à cette cuillère de bois, ébréchée, que Mateï s’était réservée, faute d’une meilleure. Rien n’était de trop. Et, sûrement, si on fouillait ces cinq pêcheurs, on n’aurait pas trouvé chez eux l’argent qui pût les faire vivre un mois sans travailler. En étaient-ils, pour cela, moins dignes d’estime que Sima, qui possédait un coffre-fort plein d’or ?

Hélas, Minnka savait qu’à part Catherine, personne à sa connaissance ne pensait comme elle.

Ce gros repas, servi à quatre heures de l’après-midi, fut un fameux « dîner pêcheur », prânz pescaresc, comme on dit là-bas. Les compagnons de Matéï le partagèrent. Avec les enfants, ils étaient dix. Tous, assis à l’orientale, sur une grande bâche étendue à terre, savourèrent deux heures durant le repas et ne laissèrent comme restes que juste de quoi satisfaire l’envie de deux beaux chiens qui contemplaient sagement les convives. Les gourmandises et les boissons apportées de la ville y passèrent aussi au milieu d’une joie guère débordante, mais sincère.

À la fin Zamfir et Toudorel déguerpirent dans la forêt. Les quatre pêcheurs retournèrent à leur besogne. Minnka et Catherine devaient, sous peu, être reconduites à la maison.