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vèrent ainsi à ne plus prêter attention à ce qui venait de ses lèvres, mais seulement à ses mains, qu’on aima tendrement ou passionnément.

Il ne se trouva que Sima, le pauvre, pour ne rien voir.

La fête du Premier Mai commença dès l’aube, qui s’épanouit comme une rose de feu pâle, pour s’embraser de minute en minute et sombrer sous un flot d’aveuglante lumière.

À la pointe de ce jour, Tsatsa-Minnka et Catherine quittèrent leur appartement, toutes deux en jupe rouge écarlate et camisole blanche aux larges dentelles amidonnées. Les pieds en pantoufles brodées. La tête serrée dans un mouchoir rouge. Se tenant par la main, elles allèrent d’abord respirer l’air frais sur le boulevard Carol, poussant la promenade jusqu’au-dessus du Danube, qu’elles saluèrent :

— À cette après-midi, dans tes saules !

Puis, elles firent demi-tour et vinrent ouvrir la taverne. Zamfir fut le premier à les rejoindre. Tsatsa-Minnka l’envoya aussitôt tirer un litre de vin-péline « no 6 », lui fit allumer le gril et le dépêcha ensuite chez le boucher pour rapporter une livre de bonnes fleïlkas[1] :

— Dis que c’est pour moi ! lança-t-elle du seuil de la boutique.

Et son bras droit alla décrire en l’air un large geste mol, qui compléta sa pensée : « Tant pis, si le boucher comprend de quoi il s’agit et me juge sévèrement ! »

En effet, on l’avait compris :

— Nénéa Laké, — dit Zamfir, rentrant essoufflé, — a levé les bras au ciel et s’est écrié : « Alors ! Tsatsa-

  1. Tranches de viande des plates côtes.