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s’ouvraient : l’écurie la plus mal entretenue dégagerait une odeur moins irrespirable.

Suivant l’exemple donné par les enfants, hommes et femmes quittaient leur affreux repaire hivernal, pour aller s’allonger au soleil, le long des murs. Pour toute conversation, on n’entendait que les quolibets les plus banaux, comme si rien ne se fût passé. Seuls leurs visages livides témoignaient de la longue souffrance subie et qui était due non seulement à l’insuffisance de nourriture et de chaleur, mais aussi au manque d’air.

Bétail et bêtes, — vaches, chevaux, ânes, chiens, chats, — réapparurent eux aussi dans la rue et prirent leur part de soleil, les uns, lâchés par leurs maîtres, les autres d’eux-mêmes vagabondant. C’est l’un des visages printaniers de la banlieue de Braïla, tous ces animaux qui emplissent les rues, déambulent et respirent. L’hiver, ils crèvent de faim plus que l’homme. Pour éviter la perte de tous, on en livre quelques-uns à l’abattoir, à des prix dérisoires. Pour les chiens et les chats, on s’en moque. Il y en aura toujours.

Ce printemps-là, le spectacle était plus triste que de coutume. Des vaches et des chevaux étaient si maigres qu’ils ne pouvaient plus se tenir debout. Les jambes engourdies, chancelants, à peine faisaient-ils quelques pas, bougeant leur queue, se frottant contre un arbre. La plupart restaient cloués devant la porte. Leur tristesse, leur regard mélancolique prouvaient qu’ils étaient supérieurs à l’homme dans la conservation du souvenir de la souffrance vécue.

Minnka n’ignorait rien de cette pénible existence des hommes et des bêtes, mais jamais elle n’avait pu s’y faire. Dans le village, son pouvoir étant insignifiant et la souffrance de la misère moins grande qu’à Braïla,