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on distinguait de vieux visages peinés, au milieu d’un lamentable fatras. Il en était tout autrement de la jeunesse, qui profitait de la désorganisation momentanée de la vie habituelle pour se donner un brin de liberté d’autant plus chère qu’on savait combien elle était défendue. Des couples amoureux, oubliant l’éreintement, s’en allaient, fuyant la famille. Les routes en étaient pleines. La forêt de maïs en dissimulait la plupart.

Des cris de mère furieuse retentissaient dans le calme nocturne :

— Ma-ri-i-i-tsa ! Que le diable t’emporte !

Le beuglement du bétail dépaysé, le jappement des chiens fous de joie, couvraient souvent la voix coléreuse.

Minnka et Minnkou, blottis à l’entrée de leur hutte et croquant du maïs grillé, guettaient malicieusement ces appels désespérés et, après chaque : « Lénou-tsa-a-a ! que fais-tu ? » ils répondaient, doucement, se regardant dans les yeux :

— C’est l’inondatio-o-on !

Cette première nuit fut inoubliable pour ceux qui la vécurent.

Une pleine lune tardive, hissant son immense disque sur l’horizon, jeta une cascade de mercure sur une Embouchure transformée en mer. Dès son apparition, le joyeux bœuf des marais, — gros cafard espiègle dont le cri gravement nuancé est à lui seul une vraie symphonie, — s’empara de l’espace, le dominant de son concert qui retentit dans l’âme, à la fois comme une imprécation et une promesse de vie nouvelle : Bou-ou-ou ! Bou-ou-ou !

Il y a dans ce long ou, une gamme de sentiments qui soude l’humain à l’inhumain, surtout lorsqu’on entend un cri isolé. Dans la même durée, d’une