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froid ! Soyez miséricordieux ! Et que le Seigneur décuple votre aumône dans le ciel !

Sima, assis sur un tabouret, deux gros carnets en mains, examinait la situation de chacun, puis, les visages. Une lutte âpre se livrait alors en lui, entre ses intérêts et son besoin de faire le bien. Le front tout plissé, la bouche contractée, les paupières à peine entr’ouvertes, il regardait les tourbillons de neige qui balayaient le boulevard et frottait entre ses doigts le bout de sa barbiche. De temps en temps, des soupirs profonds, qu’il réprimait promptement, lui gonflaient la poitrine. Ses yeux s’arrêtaient parfois sur une fillette dont une grosse nippe fourrée, appartenant à sa mère ou à son père, cachait entièrement le corps, ne laissant voir qu’un hâve visage. En ces moments, la foule silencieuse s’agitait, chacun voulant attirer sur soi l’attention du bienfaiteur. Les vieux grimaçaient encore plus, leurs mines tordues par la misère, hochant la tête et miaulant quelques mots incompréhensibles. Des gamins, — toujours emmitouflés dans une guenille qui traînait à terre et coiffés d’un bonnet qui leur bouchait la vue, — soulevaient la tête et posaient un regard anxieux, intelligent, sur celui dont dépendait leur vie. Souvent, des yeux qui trahissaient une faim atroce, se mettaient à fixer, éperdus, la montagne de pain frais, la charcuterie, les tas de fromage.

Sima les connaissait tous, la plupart par leur nom même. Les uns, il les avait vus naître ; les autres, vieillir. Il n’ignorait ni l’occupation, ni la moralité d’aucun d’eux. Cette misère qu’il avait sous les yeux faisait partie intégrante de son commerce. C’est elle qui l’avait enrichi.

Parfois il disait à une femme :

— Mais ton mari a bien travaillé cette année. N’a-t-il rien mis de côté ?