Page:Europe (revue mensuelle), n° 97, 01-1931.djvu/79

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Il y avait, dans la comptabilité sentimentale et empirique de Sima Caramfil un chapitre à fonds perdus qui prévoyait, bon an mal an, une somme X, destinée « à la misère de tout grand commerce », ainsi que l’appelait Sima, par crainte de passer pour un faible. La présence du maître n’était guère nécessaire pour que ce chapitre fût respecté. Il y avait l’habitude, créée par Sima et devenue loi : aider la clientèle besogneuse de la maison et donner à ses pauvres. Cela ne se faisait pas sans cris ni protestations, mais on finissait presque toujours par aider les uns et donner aux autres. Ainsi, les hommes de confiance remplaçaient-ils le patron jusqu’à remplir, avec un merveilleux doigté, ce délicat devoir.

L’hiver en question, les limites les plus inflexibles de ce chapitre sautèrent en éclats. Le cejghetar, débordé, courait chaque jour dire à tsatsa Minnka, ou à son maître, lorsqu’il apparaissait dans la taverne, qu’il ne pouvait plus, de lui-même, faire face à toute cette vague de détresse. Sima lui recommanda, d’abord, de « continuer avec prudence », puis, devant la débâcle, il alla s’installer dans l’épicerie, où il passa toutes ses journées.

Une foule dense, comme on en voit les jours de grandes fêtes religieuses, à l’église, y faisait queue. Presque point d’homme valide. Des vieux, des vieilles, des enfants surtout, que les parents envoyaient, sachant bien qu’on résiste moins au spectacle de leur souffrance, à leur prière timide, qu’ils avaient stéréotypée :

— Mon père (ou ma mère) vous prie de nous donner encore pour dix centimes de bois (ou de farine de maïs)…

C’étaient ceux qui avaient un crédit ouvert. D’autres, des vieillards, mendiaient :

— Monsieur Sima, nous mourons de faim et de