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qui régissent, en Orient, la vie et la fortune de tous nos Sima, il avait passé la main à son teijghetar, homme de confiance, tout puissant, qui devait, à la fois, le servir et le voler, afin de devenir lui-même, un jour, un Sima ou autre chose.

Le maître n’y faisait que de courtes apparitions, sans but et sans utilité. Depuis l’aube jusque tard dans la nuit, il était partout, sauf dans sa fournaise : au marché de céréales, où son nez de rat se fourrait dans tous les chars des paysans ; à la bourse des mêmes produits, qui se tenait en plein air ou dans les cafés de la place, et où Sima, modeste, effacé, roublard, savait toujours placer sa camelote avantageusement ; au grand café du centre, où il flairait les bonnes affaires et les soufflait à ceux-là mêmes qui, ne le craignant pas, les débattaient à haute voix et à sa barbe ; aux chargements et aux déchargements de ses grains, quand son œil ne lâchait pas une seconde la racloire et le boisseau ; à la douane, où il ne manquait d’être à aucune des réceptions de ses multiples marchandises venues du Levant ; l’automne, pendant des semaines, il courait nos podgori, achetant ferme ses énormes provisions de vins et d’eaux-de-vie, dont sa cave, vrai labyrinthe, contenait les meilleurs crus, les plus fins rakis.

Sa femme ne le voyait que par moments et toujours sale, boueux et poussiéreux, les vêtements en désordre, le visage méconnaissable, pensif, absorbé. Ses repas : debout, un poisson frit dans une main, un morceau de pain dans l’autre, un verre de vin devant lui, à son comptoir, tandis que le tejghetar se tenait à un garde-à-vous de circonstance. Sima n’y faisait guère attention. Il savourait longuement sa dégustation, tout en bavardant avec certains de ses clients.

Autour de lui, foire, va-et-vient incessants, cris, jurons, car c’était très populaire. La taverne était celle qui ne désemplissait jamais. Les tables et tabourets de