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Père Andreï éteignit la lampe et se jeta sur son lit de planches, le cœur plein de gratitude envers Dieu. Mais peu après, des chuchotements qui lui parvinrent du grenier, le firent s’exclamer de nouveau :

— Ah, c’est Minnka qui a fait le miracle. Que le Seigneur soit loué tout de même !

Et le vieillard s’endormit.

Une heure avant l’aube, la lampe pendue au clou, père Andreï était à son métier. Les bras nus jusqu’aux épaules, ses mains d’acier empoignaient avec amour les battants et faisaient tomber lourdement le ros sur le tissu végétal, qui montait à vue d’œil. Toute la maison était secouée. Après chaque coup, comme pour essuyer une inexistante poussière, ses mains envoyaient une large caresse sur toute la surface nouvelle de la natte. Puis, ses doigts couraient fiévreusement entre les cordages, introduisant, des deux côtés à la fois, les fils moelleux de la trame.

Andreï Ortopan venait de terminer sa natte et s’apprêtait à l’ôter du métier quand, l’aube blanchissant les carreaux, un aboiement sec le fit sursauter. Il courut à la porte.

Alexe Vadinoï était là, fusil au dos, blême :

— Andreï ! Donne-moi ma fille !

— Alexe ! Ta fille est à mon fils ! Par la volonté de Dieu et la sienne propre !

— Je ne veux pas d’un gendre, fils de… nattier !

Ortopan croisa ses bras sur la poitrine, les yeux pleins de mépris :

— Tu voudrais peut-être d’un gendre qui soit un Mândresco ! Ah, la belle âme paysanne ! Il n’en est pas un parmi vous tous, qui ne veuille être à la place de votre boyard et, comme lui, écorcher vif son prochain ! « Fils de nattier » ! Pauvre Alexe, qui n’as pas de quoi t’acheter une chemise !