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la prit tout de suite en pitié et voulut lui venir en aide, mais comment aider une locomotive ?

Il concentra tout son amour sur les deux machinistes qui, les visages rouges, fouillaient ensemble les entrailles de la chaudière au moyen d’un long fer. Zamfir marcha aux côtés de la locomotive, avec, dans le cœur, un besoin irrésistible de la toucher, la caresser. Le mécanicien l’apostropha :

— Éloigne-toi ! Tu seras brûlé par la vapeur !

Il ne s’éloigna pas, et vit les deux hommes arracher et tirer hors du foyer d’énormes morceaux de scories incandescentes.

À l’instant même, pendant que les machinistes jetaient du charbon dans le foyer, un puissant tirage de la cheminée lui fit cracher feu et vapeur, en des hurlements déchirants. Et le train stoppa.

Zamfir s’élança alors à travers la campagne, en rugissant comme une bête égorgée :

— Au secours ! Au secours !

Il courut ainsi, en criant, jusqu’au bord du plus sauvage des marais, où il tomba, évanoui.

Dans l’embouchure du Sereth, nous connaissons des automnes dont les aubes sont de braise. Une telle aube se leva sur le petit Zamfir, évanoui, et sur les myriades d’épis floconneux des joncs et des massettes. Un vent de l’ouest inclinait vers le soleil levant tous ces millions et millions de quenouilles brunes, que le feu céleste dorait. D’innombrables vols de canards et d’oies sauvages surgissaient en masses compactes du fourré marécageux et remplissaient le ciel flamboyant.

Zamfir ouvrit les yeux, se retourna sur le dos et, aspirant une grosse bouffée d’air, pensa : « Il n’y a pas de pays plus beau au monde que notre Embouchure. » Il avait le cœur tranquille comme si rien ne se fût