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Le matin d’avril, quand le soleil se lève et baigne son visage d’une lumière neuve, les labours duvetés de poils verts et drus gonflent la poitrine et l’homme d’une joie illimitée. Debout, dans son chariot, il contemple sa campagne et s’écrie, bien haut :

— Dieu, qu’elle est belle !

C’est à ce moment-là, pas plus tard, qu’il est payé de toute sa peine. Et même, des semaines durant, il avale joyeusement et digère bien sa mauvaise bouillie à la farine d’orge ou de maïs.

Pour l’habitant de l’Embouchure, la suite de ses heures de désir est banalement heureuse ou passionnément héroïque.

Le premier cas, c’est quand il lui « tombe du ciel une année abondante » : alors, il s’achète un pourceau, l’engraisse et le mange à Noël, ripaille qui alourdit son corps et endort son esprit, mais cela ne dure que cinq ou six semaines ; il en profite aussi pour marier un de ses enfants, événement qui le pousse à des hardiesses baroques et lui fait dire plus d’inepties qu’il n’en est ordinairement capable. Alors, il n’a plus aucun désir, il est bête.

Le second cas, c’est celui-là même qui remplit les trois quarts de sa vie : la détresse, partielle ou totale ; la nage vaillante contre les flots menaçants de la perdition. Et plus durement il se voit évincer, plus il perd pied, et plus son désir se dresse, géant, et l’ameute contre l’adversité.

Rentrant de ses labours inondés ou cuits, il s’arrête au milieu des siens, pareil à une locomotive dont la chaudière serait prête à sauter. Il crie :

— Plus une goutte de lait aux enfants. Tout, pour le marché.

Ce « tout », c’est à peine trois litres. Quant à la « goutte » dont il veut dorénavant priver les petites bouches, il divague, le brave homme, car, depuis