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LE PÊCHEUR D’ÉPONGES

homme. Chaque homme, nu, tel qu’il est venu au monde, tient dans sa main un couteau court et très affilé. La corde passe sous les aisselles. L’homme porte sur le dos un lest, beaucoup plus léger que son amertume, mais bien plus lourd que ses péchés. C’est tout.

« Le lieu de pêche choisi et le bateau ancré, le commandant procède aux sondages, en criant :

— Douze mètres ! huit ! treize ! onze ! neuf !

« Derrière lui et à chacun de ses cris, se postent l’esclave et son maître : une bonne dose d’air, et vous voici au fond de l’eau, où, les yeux ouverts, vous pourriez voir une aiguille qui descend et la place où elle se pose.

« Le fond de la mer est tapissé d’éponges de toutes les dimensions. L’homme empoigne la plus grosse et veut la couper. Mais l’éponge tient à sa vie, comme toute vermine, et se défend. Sa défense n’est autre que le suc gluant dont elle est imbibée et qui la fait glisser des mains, tel le mercure, alors que la racine fait corps avec le rocher. Là est la tragédie de la pêche aux éponges : la dose d’air s’épuise rapidement, le cœur bat à étouffer, les oreilles craquent, les yeux commencent à se couvrir du voile qui précède la mort.

Alors, avec ou sans éponge, vous êtes forcé de tirer le signal, ne pensant plus à ce qui vous attend, ne pensant plus qu’à l’air, — l’air ! cette grosse fortune de l’existence que l’homme n’a pas réussi à accaparer.

« Remonté à bord, si la chance vous a aidé à apporter une belle éponge, vous êtes payé de quelques instants de répit, qui vous semblent doux comme une caresse de femme aimée. Si vous apportez une éponge en loques ou rien, un bon coup de poing, reçu à nu dans les côtes, vous font blasphémer la vie et son créateur.

« Ce n’est pas la douleur du coup, qui vous fait