Page:Europe (revue mensuelle), n° 79, 07-1929.djvu/54

Cette page a été validée par deux contributeurs.
384
EUROPE

Alors ? Comment veux-tu que je sois épatant, derrière ?

« Pourquoi seraient-ils épatants, les cabots humains ? Et pourquoi rougiraient-ils des trous de leurs pantalons ? La honte est une fleur qui pousse dans une terre qui se nomme dignité, mais il n’y a de dignité que là où il y a raison d’être.

« Quelle raison d’être a le cabot humain ? »

« Je ne sais pas comment on fait aujourd’hui la pêche des éponges, mais, il y a vingt ans, chaque éponge arrachée à la mer, contenait une goutte du sang de son pêcheur.

« Le matin du jour où la chaîne des Libans parut à nos yeux, ne sachant ce qui nous attendait, c’est avec des cris de joie que nous saluâmes le ciel, la terre et les goélands qui nous escortaient. Nos maîtres saluèrent le diable qu’ils cachaient dans leurs âmes et préparèrent, silencieux, les câbles et les couteaux.

« Dans ces parages de la Méditerranée, il y a de grandes portions de mer dont le fond se soulève à quinze ou même dix mètres de la surface marine. C’est ici l’un des domaines les plus riches en éponges, ces vastes baies solitaires, sillonnées uniquement par les caïques des pêcheurs.

« Ici, chaque mètre carré de mer, a vu surgir à sa surface une bulle qui, se brisant, a laissé s’échapper vers l’inclémence humaine un gémissement muet, sorti de la poitrine de l’homme qui s’évertuait au fond de l’eau à détacher une éponge. Quelques mois plus tard, cette éponge s’évertuait à son tour à nettoyer une infime partie de la saleté de ce monde. Homme et éponge peinaient en vain, car, voici :

« Dix bourreaux, alignés tout autour du bord, tiennent dans leurs mains le câble et la vie d’un