Page:Europe (revue mensuelle), n° 79, 07-1929.djvu/51

Cette page a été validée par deux contributeurs.
381
LE PÊCHEUR D’ÉPONGES

faisaient rien qui vous autorisât à les soupçonner. Ils étaient corrects. La popote, mangeable. Néanmoins, à les voir se faufiler sur le pont, avec leur carrure et leurs faces bestiales, parlant peu, s’entendant à demi-mots et souriant avec hypocrisie, mon cœur ne douta plus de l’élasticité de leur conscience.

« Des va-nu-pieds de mon espèce, il y en avait encore cinq, à bord de cette vieille galoche. Deux Grecs, deux Jeunes Arméniens et un Sénégalais. Les Grecs, heureux de pouvoir croquer une galette, avaient déjà pris le commandement du caïque et se querellaient au sujet de l’itinéraire à suivre. À les écouter, les autres se tordaient de rire. Aucun ne s’apercevait du piège certain dans lequel nous venions de tomber.

« Les jours suivants, quatre autres gueux furent pris au lasso de l’apparente aubaine et charriés à bord. C’étaient deux Italiens et deux nouveaux Grecs. Ces derniers intervinrent promptement, avec leurs lumières, dans le débat fantaisiste concernant la direction du « vaisseau », lequel, du coup, se vit achalandé de quatre « commandants » inattendus. Les Italiens, une fois nourris, s’attelèrent, comme des forcenés, au jeu de la more. Je restai seul, bien que maintenant nous fussions dix prisonniers du même sort.

« L’équipage étant ainsi au complet, le lendemain, vers le soir, un cri métallique retentit sur le pont :

— Allons ! à l’ancre !

« Ce fut comme un éclat de vérité en pleine nuit spirituelle. Jeux, rires, parlotes, tout se tut, assommé. Devant nous, qui étions dix, il y avait onze hommes qui se tenaient en position de combat. Nous, les mains vides. Eux, armés de revolvers, bien visibles, pour que nous le sachions.

« Je le savais, pour ma part, et n’en demandais pas tant. Je me levai le premier. Mais les autres malheureux, lents à comprendre, n’en revenaient