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EUROPE

si on tient compte de la faim qui chasse l’ours de son repaire, comme on dit chez nous. Au Pirée, la faim chasse le vaurien du cabaret et le fait s’étendre au soleil.

« Ne pouvant me nourrir, comme eux, de soleil, d’exploits imaginaires et d’une tentacule de pieuvre, j’acceptai la proposition de l’inconnu.

« Un ennemi tout aussi puissant que la faim contribua à me la faire accepter : c’était mon désir de connaître d’autres contrées, cet implacable vice qui pique de l’éperon tout vagabond sentimental, dès qu’il croit possible de se créer un meilleur sort. Il est, sous une forme plus idéale, l’œuvre de la même fantaisie qui fait croire au voyou du Pirée que, plus d’une fois et dans plus d’un endroit, il a commandé un navire et accompli des faits d’armes.

« Syrie… Mot enchanteur… Tous les mots enchanteurs nous coûtent cher.

« En compagnie de mon patron, qui payait partout et se taisait comme un reptile, j’allai faire les achats nécessaires à mes trois mois de bagne flottant. J’éprouvai, tout de même, quelque joie. Enfin, ils ne me tueront pas, me disais-je. Lui, à son tour, devint un peu plus gai, surtout quand l’embarcation nous prit pour nous conduire à bord du bateau, qui était ancré tout près dans la rade.

« Ici, le patron conserva sa bonne humeur, mais, moi, je perdis la mienne. Une dizaine de brutes moroses, qui constituaient l’état major du pirate, me firent entrevoir une Syrie bien moins magique. Bientôt, le choc avec la réalité devait me faire voir trente-six chandelles.

« Il est vrai : ces dix chenapans et leur maître ne