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LE PÊCHEUR D’ÉPONGES

« Mais, dans le monde, il n’y a pas que des sentimentaux. À côté du grillon, se tient enroulée la vipère. La vipère humaine a des désirs insignifiants et des moyens excessifs.

« Un après-midi d’avril, alors que je rôdais affamé dans le port, un homme m’aborde :

— Veux-tu travailler ?

— Oui, je le veux. Quel travail ?

— La pêche des éponges, vers Alexandrette, sur les côtes de la Syrie.

Je pense : « Pourquoi juste sur les côtes de Syrie ? » Je le lui demande. Il me répond :

— Parce que dans l’Archipel nous sommes trop nombreux. On perd son temps.

— Combien payez-vous ?

« Il me fixe dans les yeux, lâche le montant de la somme, tel un jet de venin, et ajoute :

— Payé intégralement à l’avance, pour trois mois de saison.

« Je reste ébahi. La rétribution était énorme, pour un pays qui grouille de vauriens. J’examine le visage de l’homme. Il était calme, banal, sous la pellicule gercée par les vents des mers. La tête de la vipère non plus ne diffère pas beaucoup de celle des autres serpents. Le cobra, il faut lui marcher sur la queue, pour qu’il se fâche et se redresse. Aux hommes il ne leur en faut pas tant, pour qu’ils vous mordent. Ils sont de naissance fâchés avec tout ce qui est beau, grand et juste.

« J’interprétai cette largesse de mon embaucheur, en me souvenant que la pêche des éponges est plus pénible que l’extraction du charbon de la mine. On n’attrape pas des mouches avec du vinaigre, même