Page:Europe (revue mensuelle), n° 79, 07-1929.djvu/46

Cette page a été validée par deux contributeurs.
376
EUROPE

— Maintenant, mon ami, à toi La Patience ! (c’était le nom du remorqueur). Sois-en le maître, aussi longtemps qu’il te plaira. Et si un beau matin l’envie te prend de courir le monde, tu peux y aller. Tu étais destiné à devenir un bagnard. Ton application et ma bienveillance ont fait de toi un homme utile à la société. Il ne te faut plus qu’un diplôme. Là, encore, tu auras besoin d’un examinateur qui ne te cherche pas noise. Espérons que tu le trouveras.

« Je ne l’ai pas trouvé. Je ne l’ai même pas trop cherché… La mort inattendue de mon commandant et le service militaire vinrent, coup sur coup, me prouver qu’on revient toujours à son destin. Le destin n’est rien autre que notre propre cœur. On ne devient que ce qu’on est. Et si vous êtes faible de cœur et de moyens, quel puissant voudriez-vous trouver qui vous prête son cœur, et ses moyens ?

« Le commandant du remorqueur a bien voulu me prêter les siens, jusqu’à sa mort. C’est ainsi, que pendant six ans, j’ai pu aller contre mon destin. Cela me fut doux, mais ce n’était qu’un rêve. Car il est inutile de « savoir, de soi-même, qu’on ne doit pas couper le pain avec le couteau qui sent l’oignon ». Il faut encore pouvoir « donner des ordres », disait le commandant, pour qu’il y ait justice sur la terre ; et comme il n’y en a pas, je suis redevenu l’homme de toujours, celui qui obéit aux ordres.

« J’ai obéi, durant mes trois ans de service, et m’en suis tiré indemne. Puis, le diable me conseilla de livrer mon cœur à une femme quelconque, cet autre restaurant aux prétentions de Parthénon. Elle te hisse sur tous les sommets, afin que ta chute soit plus ver-