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LE PÊCHEUR D’ÉPONGES
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— Je suis venu, conduit par la soif de connaître, d’apprendre et d’aimer…

— Hum !

— Hum !… Quelle drôlerie !

Adrien et sa nouvelle acquisition quittèrent le Restaurant du Parthénon après un quart d’heure d’entretien.

Le premier avait posé les questions les plus inconvenantes, le second s’était borné à de douces réponses. Et de toutes les réponses, une seule s’était ancrée dans le cerveau d’Adrien : « Je suis parti pour voir le monde. »

Ils allaient, tous deux silencieux, par une nuit d’étouffante chaleur, Adrien examinait mentalement son compagnon et retournait cette phrase sous toutes ses faces.

— Il est parti pour voir le monde ! Et il ne paraît être qu’un vaurien comme moi ! Diable ! Partent-ils, les vauriens, comme cela, pour voir le monde ? »

Il songea à tous ceux qu’il avait vus en train de « voir le monde » et qui ne voyaient rien. Les uns, flanqués d’un interprète et munis du Baedeker, toisaient une statue, grimpaient sur une pyramide, ou bâillaient poliment sur un sarcophage vermoulu. Ceux-ci « voyaient » ce que leur débitait la sottise de l’interprète et l’érudition du Baedeker. D’autres, qu’il connaissait bien, avaient fui le service, s’étaient mariés et luttaient avec la misère. Ceux-ci « voyaient le monde » malgré eux. Il restait encore une catégorie : ceux qui partaient « pour voir le monde » et qui devenaient des ruffians.

Adrien ne put classer son compagnon dans aucune de ces trois catégories. Alors, le prenant par le bras, il le poussa vers un banc du jardin Zapion, qu’ils traversaient, s’accrocha à l’inconnu et lui souffla au visage :