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J’en connais beaucoup de mon âge qui, en 1919, n’étaient plus ; et d’autres que les difficultés matérielles auront écrasés, anéantis — le temps de paix a ses guerres, obscures, silencieuses. À propos de ma chance, puis-je remercier « mon étoile », comme faisaient les héros et les grands capitaines ? Remercierai-je mes anciens chefs, mes anciens maîtres ? Ils ne se sont pas souciés de mon destin plus que de celui de milliers d’hommes ; qu’on ait crevé, vécu, voilà qui leur était indifférent. Je ne les accuserai pas plus qu’il ne faut, on sait qu’ils jugent de très haut des choses humaines et particulièrement de notre bonheur ; et qu’ils appellent nationale une guerre dans laquelle ils entraînent des millions d’hommes.

Ce que je suis maintenant, je le dois pour la plus grande part à mes parents ; ils étaient pauvres, ils travaillaient durement, plusieurs années durant ils me permirent de ne pas avoir à gagner mon pain — acte si noble qui, dans le peuple, rend impossible d’échapper jamais à son mauvais destin. Je dois une profonde reconnaissance à quelques personnes qui m’ont donné leur confiance, leur amour ; pareille reconnaissance à André Gide, à Roger Martin du Gard, à Léopold Chauveau qui, les premiers, m’ont autorisé à ne pas trop douter de moi-même. La suite… Mon dieu, des événements, des lectures, des hasards, des rencontres, m’ont aidé. Je ne suis pas « au bout de mon rouleau ». Je n’ai écrit que mes « œuvres de jeunesse ». Bien entendu, si je vis…

Voilà une phrase que je prononce souvent, une question que se posent aussi des milliers d’hommes jeunes. Pendant un temps, elle a pu ne pas être posée — ou avec moins d’angoisse. Nous gardions quelque espérance, en dépit de bizarres avertissements. Ça se passait entre 1920-1928, dans la politique internationale je ne sais plus trop ce que cela représente, quelles conférences ! Nos maîtres travaillaient à construire la paix ; ils nous