Page:Europe (revue mensuelle), n° 143, 11-1934.djvu/68

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ajoutions : « Tous camarades ! » Nous avions de l’espérance, la tête bien farcie de serments et de promesses. Bientôt, une décision tombée de ces lieux où des chefs vivent sans rapports humains avec leurs semblables vint mettre des obstacles à ces rapprochements, sinon les faire cesser tout à fait. Quelques mois plus tard, on nous boucla dans des casernes, à Landau.

Je ne quitterai pas Steinweiller sans parler des soirées que j’y ai vécues. Un de mes amis jouait de la flûte. J’allais souvent le retrouver chez l’instituteur, gros bonhomme qui s’installait à son piano et tapait lourdement du Wagner ; mais avec quel enthousiasme, quel bonheur ! D’autres fois, il accompagnait mon ami qui jouait du Mozart, du Haydn, du Bach. C’était une musique aussi neuve pour moi que le printemps, aussi ensorcelante ; soudain, dans mon passé, plus de guerre ! La musique cessait, l’instituteur roulait des yeux brillants, et, d’une voix pleine de ferveur, répétait : « Schön, herrlich ! » Nous buvions un verre de vin du Rhin ; une jeune femme arrivait, dont mon ami était épris. Parfois, je passais la soirée dans une autre famille. Comme mon ami, j’étais amoureux ; je me souviens de certaine jeune fille blonde dont je peignis à l’aquarelle le portrait. Un soir, après être resté tard chez ses parents, je regagne la mairie où je suis de garde au bureau de l’état-major — j’ai demandé à un camarade de me remplacer. J’arrive, pousse la porte du bureau. Je trouve l’adjoint de notre commandant — un commandant, lui aussi, que nous avons reçu dans les derniers mois de la guerre, je ne sais pourquoi, personnage guindé et morne, plus à cheval sur le service depuis l’armistice que lorsque nous étions au front. Il me tient un long discours où il est question d’abandon de poste, et refuse de m’entendre. Cela ne me valut que huit jours de prison. Si je conte cette petite mésaventure, c’est pour montrer qu’il nous fallait voler notre bonheur et que nos chefs, naturelle-