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moment encore notre train. Nous repartons. Enfin, le petit jour. À chaque arrêt, des hommes s’en vont vers leur destin — en songeant peut-être, comme moi, à ceux qui en sont les maîtres…

Durant quelque huit mois, notre groupe occupa un secteur, tantôt à l’est, tantôt à l’ouest de Reims. C’est à Épernay que commençait et prenait fin mon bonheur — qui durait combien : 7, 8 jours ? À Épernay, en 1893, mon père avait fait son service dans un régiment de dragons ; pour sa part, il devait donner sept longues années de sa vie à ce métier qui n’était pas le sien. Me retrouvant dans sa ville de garnison, je me voyais marchant sur ses traces ! Un soir, dans un « foyer du soldat », j’eus une conversation animée avec un territorial. Notre discussion se poursuivit alors que nous allions à travers la ville, en attendant l’heure de prendre le train. Je dis : notre discussion… c’était mon compagnon qui parlait, moi j’écoutais, j’interrogeais. Je ne me souviens plus trop bien de ses paroles, mais de l’accent fervent qu’il leur donnait. Ce compagnon me confiait que ses camarades en avaient « marre » de la guerre et des mensonges dont on nous bourrait le crâne ; il me parla des propositions de paix du président Wilson, enfin de ses espérances en une société socialiste. À peine si je distinguais son visage, mais je voyais briller ses yeux ; la chaleur de sa voix me remuait, ses propos me faisaient reprendre confiance en l’avenir. Soudain, des avions bourdonnèrent. Nous courûmes à la recherche d’un abri ; nous en trouvâmes un dans les sous-sols du théâtre. Tandis que nous entendions les éclatements sourds des bombes, mon compagnon me détaillait son histoire : au front depuis 1914, blessé, parisien, chaudronnier dans le civil. Il m’apprit que, les jours précédents, des avions avaient bombardé la gare d’Épernay et atteint un train de permissionnaires. Ce fut avec cette angoisse au cœur que nous rejoignîmes la gare. Une