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mon vin et mon eau-de-vie à leur source, en des temps où ils coulaient en véritables rivières. Mais, dans le charretier qui ouvrait ma porte en hiver, les glaçons pendus à sa moustache, je n’ai jamais vu qu’un frère. Je lui serrais les mains gelées et je lui faisais place près de mon fourneau. Pour ses bêtes, j’avais construit un abri comme il n’y en avait pas deux à vingt lieues à la ronde ; et pour la poignée de foin que je leur jetais, je ne voulus jamais accepter de l’argent. Le vin et l’eau-de-vie que je servais étaient des meilleurs, et je peux jurer sur la lumière de mes yeux que je n’ai jamais mis une goutte d’eau pour les allonger, ainsi que l’on fait partout. Et lorsque je voyais que l’homme avait bu sa mesure et qu’emporté par la passion il voulait la dépasser, boire sa raison et manquer son affaire, je lui versais un verre à mon compte et je lui conseillais de suivre sa route. Bien souvent, je fus obligé de la lui montrer. Ainsi, j’étais en quelque sorte son serviteur, car je restais debout à l’attendre depuis l’aube jusqu’au milieu de la nuit ; et si quelqu’un frappait à ma porte après la fermeture, j’oubliais que je pouvais me trouver devant un malfaiteur, je me levais du lit et j’ouvrais.

« Mais l’exemple du bien ne sert pas à grand’chose ; et s’il n’y a pas que des ingrats sur la terre, le mal n’a besoin que de la main d’un méchant, contre cent vertueux, pour la ravager. Cette main me guettait dans l’ombre, prête à me frapper. Elle ne pouvait me pardonner ma prospérité ; elle ne supporta pas que je fusse autre qu’une main galeuse, pareille à elle, bonne à mendier ou prête à frapper. Et elle me frappa. Ce fut facile : ma femme dormait.

« Ô Adrien ! ici la main de l’homme méchant rencontra, pour détruire, la main bien autrement méchante du Destin, et elles s’unirent pour l’accomplissement de l’œuvre de destruction !… Fut-ce une faute,