Page:Europe (revue mensuelle), n° 14, 02-1924.djvu/4

Cette page a été validée par deux contributeurs.

guerre de 1877 avec les Turcs l’aidèrent beaucoup ; et en dix ans il réussit à amasser une fortune qui lui permit d’acheter un autre terrain, à cinq cents mètres de sa boutique ; il y planta les meilleurs arbres fruitiers, une vigne fameuse, et y construisit la plus belle maison du village, avec écurie, vaches de race, poulailler, brebis, porcs, etc…

Mais il fut beaucoup moins heureux dans sa vie domestique, il fut même misérable ; et après dix autres années, le sort lui réserva le désastre. Sa femme était sotte, sournoise, incapable de tenir un pareil ménage, et sale jusqu’à répugner. Elle dormait des heures entières à l’ombre, la bouche ouverte pleine de mouches, l’enfant pataugeant à ses côtés dans les excréments. Le bétail devenait enragé de soif. Dans la cour, dans la maison, n’entrait que celui qui ne le voulait pas. Adrien se rappelait avoir vu son oncle briser un jour d’été toutes les vitres de la maison, encrassées de saletés de mouches, qui ne laissaient plus passer le jour. La femme ne se réveilla point pendant toute la durée de la casse. Son mari, passant près d’elle, la regarda dormir en ronflant, lui lança au visage un gros crachat, et partit. Elle continua son sommeil. Croyant y remédier par la sévérité, il la battit souvent. Il ne fit que l’abrutir davantage. Alors, il vendit tout le bétail et abandonna la maison ; il n’y allait plus qu’une fois par mois.

Pour épargner aux enfants qu’elle mettait au monde le spectacle d’une telle mère, il les lui enleva, à mesure qu’ils atteignaient l’âge de cinq ans et les mit en pension chez un parent à Galatz, où il allait les voir cinq ou six fois par an, suivant de près leur éducation. Après quoi, il rompit le dernier lien qui le tenait encore à elle, le lien corporel. Ainsi, la maison qui devait être la plus florissante de la région, n’en fut que la plus vaste écurie humaine.