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pleine d’écueils qu’est la vie, notre barque est à la merci des vents, et notre adresse ne peut éviter que peu de chose. Et c’est inutile d’accuser quelqu’un, ou d’accrocher son espoir à quelque chose : on est destiné au bonheur ou au malheur, avant de sortir du ventre de sa mère. Heureux est celui qui sent le moins, ou qui ne sent rien : le peu qu’il demande, l’existence le lui donne. Et malheureux est celui qui sent et qui veut : il n’a jamais assez.

Adrien reconduisait son oncle à son terrier. Anghel s’arrêta devant sa porte, et dit à Adrien, au moment de se séparer :

— Adrien ! Je mourrai bientôt, car mes boyaux sont brûlés par l’alcool. Regarde-moi bien, et rappelle-toi, chaque fois que tu voudras cracher sur un ivrogne, que moi, ton oncle Anghel, homme propre et aimant la vie propre, je suis devenu ivrogne et que je meurs ivrogne, par la faute de personne.


PANAÏT ISTRATI.