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À cette parole le prélat se leva, comme sous le coup d’une brûlure :

— Je vous quitte, dit-il, ma place n’est plus dans une maison où Dieu est insulté !

— C’est là tout l’appui que tu prêtes à un Job comme moi ? demanda Anghel. Trois enfants j’ai eus, et tous les trois je les ai perdus. Quel crime ai-je commis, pour que ton Dieu me punisse de la sorte ?

— Malheureux ! la Grâce Divine t’avait choisi pour te compter dans le nombre de ses martyrs, qui jouissent de la vie éternelle !

— Ta Grâce Divine aurait mieux fait de me laisser jouir de la vie terrestre qui me plaisait, et ne pas faire de moi un ivrogne sans famille et sans Dieu.

— Personne n’est digne de juger les actions de Dieu !

Et disant cela, le prêtre donna sa bénédiction, et sortit.

— Anghel, lui dit sa sœur, aussitôt leur cousin parti, tu n’as pas été respectueux avec le père Stephane, tu as oublié qu’il est prêtre.

— Au contraire, sœur, j’ai dû me rappeler qu’il est prêtre, pour lui dire que ne je crois pas aux dires des prêtres. C’est leur faute si je n’ai plus de foi dans leur Dieu : pourquoi nous donnent-ils un architecte tout-puissant et qui se mêle, à chaque instant, à notre vie ? Il n’y a rien de vrai dans cette histoire ; mais la vérité doit être ailleurs. Où ?… Je n’en sais rien. Ce que je sais, c’est que nous vivons, nous souffrons, et nous mourons bêtement, sans savoir ni pourquoi, ni comment. Je sais encore que notre plus grande erreur est de trop désirer le bonheur, tandis que la vie reste indifférente à nos désirs : si nous sommes heureux, c’est par hasard ; et si nous sommes malheureux, c’est encore par hasard. Dans cette mer