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foi. Songe que nous autres, mortels, nous ignorons la pensée Divine. Qui sait si tes malheurs ne sont autant d’épreuves que notre Seigneur t’envoie, pour faire ensuite de toi un de ses Élus ?

Anghel se redressa sur son siège, et ses yeux luisirent. Il parut vouloir répondre au prêtre, mais sa parole fut arrêtée. Il appela Adrien, qui restait dans un coin de la chambre, et le fit asseoir à sa gauche, entre ses deux oncles ; puis il dit, avec un peu plus de force :

— Cousin Stephane, il doit y avoir de tristes mensonges dans vos histoires religieuses. Ma tête n’est pas en état de te répondre (il tutoya le prêtre) ; mais voici ce garçon, notre neveu, il sait plus que nous…

— Oncle, interrompit Adrien, je ne voudrais pas être mêlé ce soir à vos disputes ; je n’ai pas l’âge ; et mes convictions peuvent blesser le père Stephane.

L’oncle Anghel lui mit une main sur l’épaule et le rassura :

— Mon enfant, tu ne blesseras personne. Nous sommes ici en famille, ou presque. Et c’est pour mon bien que tu dois parler de ce que tu as appris dans les livres. Je ne vis plus maintenant que pour la vérité ; mais depuis deux ans que je lis, tant bien que mal, dans la Bible, je ne fais que m’embrouiller. Comment expliques-tu, Adrien, que tant de sagesse s’étale dans ce livre à côté de tant de fables, par exemple cette histoire invraisemblable de Job ?

Adrien, intimidé par le regard pénétrant du prêtre, répondit :

— C’est parce que les personnages bibliques échappent au contrôle de l’histoire. La Bible est un livre de foi, à l’usage des croyants : elle te demande de croire, non pas de chercher.

— Mais dis-moi si tu peux croire à un Dieu qui enlève à un père tous ses enfants, pour le plaisir de l’éprouver ? Il doit avoir un cœur de vrai bandit !