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teur de la justice, mais tu as été sacrilège avec lui, tu l’as frappé et tu as répandu le sang de ton aîné. Tu as oublié la sainte croyance de nos pères, qui disaient que « le cadet qui frappera son aîné, le portera sur son dos dans l’autre vie » ; et ils croyaient voir son image dans la pleine lune.

Dimi se tut. Sa sœur continua :

— Anghel a été injuste, c’est vrai. Il a oublié que notre frère Dimi est resté à la maison et avait eu le souci de notre vieille mère pendant des années, tandis que nous autres les trois frères et sœurs, nous l’avions abandonnée, allant chacun à son destin. C’est pourquoi, bien que la plus pauvre des quatre, je me suis opposée au partage. Ce partage aurait mis à la rue le frère cadet avec sa femme et ses deux enfants. Mais Anghel, qui était aisé, voulait l’aider à se refaire un foyer ; et c’est ici que commencent les torts de Dimi. Il était fier et ne voulait rien devoir à son frère. Je crois même qu’il le haïssait déjà. Ainsi, la dispute et les coups dormaient dans son cœur comme le feu sous les cendres, et ils se sont battus. Maintenant le pauvre Anghel a racheté tous ses péchés, les malheurs lui ont enlevé tout ce que nous avons d’humain en nous, et aujourd’hui, il ne compte plus parmi les vivants que par les liens de son corps qui se traîne encore sur la terre. Pour ma part, j’aurais mieux aimé qu’il fût mort, car ce qu’il fait en ce moment est pire que la mort. Il boit, mais c’est lui qui est bu par l’eau-de-vie ; il lui livre son âme. Je ne suis plus allée chez lui depuis Noël, et il ne va plus chez personne. Une fois, je lui avais dit que s’il n’arrivait pas à sortir de là, ce serait mieux pour lui qu’il fût mort. Il répondit : « Je le suis ». Mais j’espère encore l’arracher, avec votre aide, à la boisson ennemie. Peut-être que le père Stephane pourrait exercer sur lui une influence salutaire. S’il vient ce soir, nous irons le visiter un peu plus souvent.