Page:Europe (revue mensuelle), n° 14, 02-1924.djvu/19

Cette page a été validée par deux contributeurs.

rent la main, qu’il offrait depuis cinquante ans aux lèvres des pécheurs :

— Le Christ est ressuscité, mes enfants… dit-il, de sa voix exercée à l’église.

— En vérité. Il est ressuscité, lui répondit-on en chœur.

La mère d’Adrien offrit sa place au prêtre, qui l’occupa sans façons, comme son droit ; et elle resta debout, s’appuya le dos contre le mur blanc, et croisa ses mains.

Les personnes présentes, un peu décontenancées par cette visite imprévue, tournèrent les yeux vers la sœur aînée, pour lui demander l’explication. Elle, — maigre, droite, les traits allongés —, promena sur l’assemblée un regard plein de bonté, et parla :

— Je vous ai fait appeler, père Stephane, pour vous demander votre appui, afin de réconcilier ce soir mes deux frères Dimi et Anghel, qui va venir, j’espère, tout à l’heure. Comme vous le savez, voici huit ans qu’ils ne se donnent plus la main, qu’ils s’évitent et qu’ils laissent passer les fêtes les plus sacrées sans goûter le pain et le vin en commun. Cela ne peut se supporter. Je ne veux pas passer à vos yeux pour une femme sans tache. J’ai mes péchés, et, le plus grave, celui d’avoir mis au monde un enfant qui n’a pas de père, après avoir vécu dix ans avec un homme, sans la bénédiction de l’église. Mais le plus triste des péchés, je crois que c’est la haine, toute haine entre les hommes, et d’autant plus entre deux frères…

— Je ne hais plus mon frère Anghel, dit l’oncle Dimi, assombri.

— Je suis content de l’entendre, dit le prêtre, mais tu y as mis le temps, Dimi.

— Oui, il a été injuste, avec moi…

— Oui, il a été injuste avec toi, approuva le servi-