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— Je viens pour te demander si tu hais encore l’oncle Dimi ?

— Je ne hais plus personne.

— Pourras-tu, donc, lui pardonner sa faute ?

— Je n’ai plus rien à pardonner à personne.

L’oncle répondait, avec l’absence d’importance qu’il aurait mis à dire : « Le pain est sur la table », ou : « Dehors, il fait nuit ».

— Eh bien ! dit Adrien en hésitant, maman m’envoie pour te prier de venir ce soir chez l’oncle.

— Ta mère t’envoie… répéta le pauvre homme, en hochant la tête ; ta mère est une sainte, Adrien.

Puis, paraissant réfléchir un instant, il ajouta :

— Et toi, qu’en penses-tu ?

— Mais, oncle, tu peux le deviner : je le veux, de tout mon cœur.

— Et les autres ? Ils le veulent aussi ?

— Sûrement, tout le monde le veut, oncle.

— Eh bien, alors, je veux comme vous.

Quel horrible : « je veux comme vous », sorti de ces lèvres au sourire mortel ! Quel anéantissement de toute volonté !… Adrien eut peur.

Ils sortirent, accompagnés de leurs chiens.

Le prêtre Stephane, qu’Adrien avertit en passant, était un octogénaire qui n’officiait plus à l’église ; mais il rendait encore de grands services, comme arbitre ou conseiller dans son village. Sa vue était un peu affaiblie, mais ses jambes ne cédaient pas à celles d’un jeune homme. Il habitait dans le voisinage immédiat de la maison de l’oncle Dimi ; et, prenant sa canne, il alla sur-le-champ frapper à la porte de ce dernier.

À l’apparition de sa figure apostolique encadrée d’une barbe jaune-ivoire, tous se levèrent et lui baisè-