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poitrine comme un lion, l’oncle Anghel regardait son neveu, d’un air calme. Celui-ci lui prit des deux mains sa main libre et, selon la coutume, la baisa. Il était près de pleurer. Sans un mot, l’oncle le mena dans sa chambre. Ici, même abandon. Les murs, nus et jaunis, n’exhalaient plus la bonne odeur de chaux fraîche. Un lit, un vrai grabat, défait et malpropre, semblait protester lui-même contre le corps pesant de malheurs, qui l’écrasait chaque nuit… Le poêle en brique montrait ses crevasses noires de fumée. Les poutres transversales du plafond étaient aussi noircies. Deux chaises en bois et la table, ainsi qu’un fusil à deux canons, pendu à un clou par sa courroie, complétaient le mobilier. Sur la table, la bouteille d’eau-de-vie et un verre, la Bible, un petit registre avec le crayon attaché à une ficelle, un couteau et un pain entamé… Adrien fondit en larmes…

L’oncle, assis sur une chaise, l’attira à lui et, pour la première fois depuis le désastre, l’embrassa. D’une voix mâle, mais cassée, dépourvue de la sonorité de jadis, il lui dit, doucement :

— Ça me fait plaisir de te voir, Adrien… mais pourquoi pleures-tu ?

— Oncle… c’est pas possible !… tu manges du pain sec… le jour de Pâques… ça… non !… même les chiens goûtent la brioche, aujourd’hui !…

Adrien essuya ses larmes, et regardant son oncle éclairé de face, le vit sourire avec bonté, la bonté insupportable de l’être tué par la douleur. Sa tête était presque chauve, la barbe et les cheveux entièrement blancs. Sa chemise et ses habits étaient sales et sans boutons. Il répondit à son neveu, d’un glas encore plus éteint :

— Si ce n’est que ça qui te fait pleurer, calme-toi, et dis-moi le but de ta visite.