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cette mort atroce, personne n’osa plus troubler le silence d’Anghel avec une bagatelle.

Maintenant, la mère d’Adrien voulait absolument réconcilier les deux frères. En appelant celui qui avait été frappé, au lieu d’aller chez lui, elle tablait sur sa douleur qui avait amolli sa fierté, ainsi que sur l’ascendant qu’elle avait toujours eu sur ses frères, particulièrement sur celui qui était le plus riche de la famille, en opposant à sa demande de partage un refus désintéressé.

Il était huit heures du soir lorsque Adrien arriva devant la maison de son oncle. À la fenêtre du midi, qui ouvre sur le hameau, il y avait de la lumière. Adrien eut un frisson, en pensant à l’homme derrière ces rideaux baissés. Il s’approcha de la fenêtre, et y colla son oreille. Aucun signe de vie, sauf la lampe à pétrole qui brûlait. Le chien Sultan, impatient, aboya. Le chien de l’oncle riposta, mais le rideau ne bougea pas. Adrien savait qu’il était inutile de frapper. Il appuya son nez contre le carreau et dit, timidement :

— Oncle ! C’est moi, Adrien, je veux te parler !

Une minute d’attente, et le rideau s’écarta, la main de l’oncle fit signe de passer à la porte, qu’il ouvrit, la lampe à la main. Adrien entra avec Sultan.

Au premier coup d’œil qu’il jeta à l’intérieur mal éclairé, son cœur se serra davantage. Tristesse des choses abandonnées par la main merveilleuse de l’homme ! Que ton langage est puissant !… Plus de verres sur le comptoir, plus de pain sur la grosse table, plus de lard fumé, suspendu au plafond comme des bouts de planche épaisse, plus de craquelins ronds enfilés sur la perche horizontale !… Poussière, oubli, abandon, paix mortelle !…

Au milieu de ce nouveau cimetière, le manteau sur les épaules, toujours grand, mais voûté, hélas, voûté l’homme qui avançait naguère sa tête superbe et sa