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de relever la propriété en ruines. Il n’avait pas fait deux cents mètres, qu’un facteur à cheval l’aborda sur la route et lui remit un télégramme. Son cœur ne lui dit rien. Tranquillement, il ouvrit le papier et lut :

« Votre fils Alexandre Anghel a fait une chute dans une charge de cavalerie, et est mort pendant la… »

Le papier lui échappa des mains ; il lança un rugissement, — debout sur ses étriers, — et tomba de son cheval, comme une colonne qui s’abat.

Ainsi, l’oncle Anghel but son verre jusqu’à la lie.

On eût cru que ce comble de malheur en serait la fin. Il n’en fut rien, car ce qu’on aurait pu considérer comme la délivrance pour lui, la mort, ne vint point ; et personne n’a su pourquoi cet homme ne s’était pas tué.

Il ne se tua point ; mais il mourait tous les jours, en absorbant sans cesse de petits verres de son eau-de-vie la plus forte. Il devint son meilleur client.

Le processus de la décomposition de cet homme, père affectueux, bon citoyen et homme de foi, est la plus lugubre des tragédies que l’auteur de ces lignes ait connues. On n’en lira ici que le commencement. La fin —, tristesse qui meurtrit le cœur, — trouvera place ailleurs.

Le garçon mort, il demanda que les funérailles et l’enterrement se fissent dans son village. Ils furent suivis par tous les habitants, et quand les fusils tirèrent la salve, au moment de la descente du cercueil, tous en larmes se jetèrent à genoux ; les soldats et l’officier qui rendaient les honneurs pleuraient eux-mêmes. Un seul homme ne pleurait pas : le père. Debout, tête nue, le chapeau à la main, il restait sur le bord de la fosse et regardait le cercueil au fond. À ce moment, un homme surgit de la foule, se jeta à ses pieds, lui enlaça les jambes et cria :