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physique. Il étouffait. Allumant une autre cigarette, il paya et sortit.

Aussitôt la bise lui fouetta la vue.


Transi de froid dans son vieux pardessus, exténué par trois heures de marche à demi inconsciente le long des quais de la Dâmbovitza, il se trouva, vers le soir, devant la « Halle aux Vieilleries ». Il y entra. Un Juif se jeta sur lui :

— Qu’est-ce que c’est à votre service ?

— Il me faut un revolver.

Le marchand recula comiquement :

— Un revolve-é-er ? Ça, ce n’est pas un article courant. N’avez-vous pas besoin d’autre chose encore ? par exemple : une bonne armoire ; des chaises presque neuves ; une superbe lampe…

D’autres marchands juifs l’entourèrent :

— Qu’est-ce qu’il veut ?

Le premier Juif ouvrit les bras :

— Il lui faut un revolver, dites !

— Par ce froid !

Adrien alla plus au fond de la halle et trouva un revolver calibre 6.35. Il le fit claquer plusieurs fois. L’arme fonctionnait bien.

— Des balles, en avez-vous ?

— Je n’en ai que deux.

Il acheta le revolver avec ses deux balles pour cinq francs et sortit par l’autre extrémité de l’édifice afin de ne pas s’exposer aux railleries yiddisch des premiers marchands.

Dans la rue, il sentit un gros soulagement. Sa tête devint lucide. Le mal physique du cœur disparut. La fatigue aussi. Rien ne lui pesait plus.

« C’est curieux ! pensa-t-il. C’est comme la rage de dents qui s’évanouit dès qu’on voit l’instrument dans la main du dentiste. Je ne l’aurais jamais cru. »

Une seule place restait encore sensible : Loutchia couchait avec Poutsi ! Voilà l’irréparable. Voilà ce qu’il ne pourra jamais oublier. Mais maintenant, si l’insupportable revient, il se tuera.

Se tuera-t-il, vraiment ? En aura-t-il le courage ? Et