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Il avala quelques bouchées et recommença :

— On nous frappe, lorsque nous voulons éclairer les masses. Cela prouve que la lumière apportée au peuple ne convient pas aux maîtres du monde. Karl Marx le dit bien…

— Au diable Marx, maintenant que tu es affamé ! Mange, bon Dieu !

— Je suis affamé… Ça ne fait rien. On ne meurt pas de faim. Mais je dois te dire ce qui en est…

— Et que veux-tu me dire ? Me convaincre moi, du rôle funeste de la religion ? Ça dépend, encore ! Entre les mains des hommes, les croyances les plus sublimes deviennent des moyens d’abrutissement et de persécution. Voilà ce dont je suis certain. Le croyant qui t’a frappé tout à l’heure est une brute. Mais tous les croyants ne sont pas des brutes ; preuve, ma mère qui croit et qui est une sainte femme.

Pâcalâ mangeait et désapprouvait, bougonnant :

— Tu es un mauvais socialiste. Tu n’as pas assez lu. Le socialisme doit balayer toutes les croyances de la bourgeoisie. Elles sont, toutes, pourries…

— Eh bien, sache que je ne crois pas à l’infaillibilité de ton socialisme !

— Mon socialisme !

Il jeta la fourchette, se leva et sortit en coup de vent, sans même avoir fini de manger.

Adrien fut navré :

« J’aurais dû me taire et lui permettre de se rassasier. Pauvre Pâcalâ ! »

Il commanda un café, fuma et revint à sa tristesse. Pourquoi avait-il abandonné Loutchia ? Il aurait dû l’épouser, accepter la collaboration régulière que lui offrait « Dimineata », se faire un avenir, se créer un foyer, rendre sa mère heureuse. À quoi lui avait servi la ligne de conduite qu’il s’était tracée ? Le voilà seul, seul sur la terre et sans aucune envie d’aller plus loin. Amitié, livres, indépendance : vanités ! Il a poussé Loutchia dans les bras de Poutsi, voilà le résultat de sa foi en ces valeurs-là. Il s’aperçoit maintenant de leur inanité. Sa Loutchia, amante de Poutsi !

Tout devint noir sous ses yeux ! Le cœur lui faisait un mal