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tance que tu vois… Depuis, je cache l’argent entre mes jambes.

— Et vous pensez que je pourrais vous faire comme ce garçon ?

— Je n’en sais rien ! Non. Je ne le pense pas. Mais maintenant, je m’en suis fait une habitude.


Il ne le pensait pas. L’homme, quoique grossier, avare et vicieux, ne manquait pas d’intelligence, ni de culture. Il s’aperçut vite qu’Adrien n’avait pas l’étoffe d’un valet, et il l’avait pris en une estime qui se traduisait quotidiennement pas de longs entretiens, presque amicaux, sur la littérature et les idées du temps, et même par des confidences. Il raconta au jeune homme des fragments de sa belle vie de rentier libre, sa jeunesse, entièrement vouée à l’amour de la nature et passionnée pour les papillons, à la chasse desquels il avait consacré plus d’un quart de siècle :

— Les collections que tu vois là, sur les murs, ne représentent qu’un dixième de ce que je possédais. Car, il y a cinq ans, tombant gravement malade et croyant mourir, je les ai toutes distribuées à mes amis. Puis, j’ai guéri et m’en suis morfondu l’âme. J’ai prié qu’on me les prête, pour le peu d’années qui me restent encore à vivre, mais on ne m’en a rendu que quelques-unes, et pas les plus belles.

Parfois, soudainement excité, il faisait des allusions transparentes à son « besoin d’amour filial », un amour filial qu’Adrien n’avait aucune peine à interpréter, car le vieux accompagnait sa déclaration sentimentale de gestes qui trahissaient clairement ses intentions.

— Si tu veux être bon avec moi, m’aimer un peu, t’occuper de mes vieux jours de pauvre homme seul, je te laisserai à ma mort une partie de ma fortune.

Et les yeux hors de la tête :

— Viens, mon enfant, que je t’embrasse !

Adrien se sauvait à l’office, sans rien répondre. Et pendant quelques jours, le vieillard n’insistait plus, mais il espérait arriver à ses fins. Il se montrait bienveillant, tendre, et même large, améliorant l’ordinaire de son domestique et lui offrant des fruits confits. L’infirme ne se nourrissant que de lait, de croûtes de pain grillé et de fruits, la viande était achetée uni-