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Car son calme des jours suivants dépendait de la façon dont ce nettoyage avait été accompli. Parfois, amollis, suant à grosses gouttes, ils s’endormaient tous deux, l’un dans son bain, l’autre sur son tabouret, les bras dans l’eau :

— Allons ! disait le patient réveillé. Il n’en reste qu’un petit bout, aux fesses. Frotte bien. Je te donnerai de beaux abricots.

Le lavage de la tête, le matin, était facile, quoique tout aussi méticuleux. On asseyait l’homme à la turque sur une grosse toile cirée, la cuvette sur ses cuisses dans le lit même. On le savonnait plusieurs fois, on lui massait le cuir chevelu, les joues, le cou, et on le rinçait à grande eau. Mais à chaque lavage, Adrien remarquait une bizarrerie, qu’il attribuait au caractère du vieux.

Celui-ci possédait deux énormes porte-monnaie, bourrés d’argent, qu’il gardait habituellement sous ses coussins, car il payait tout comptant et en monnaie exacte jusqu’à un centime. Une fois par mois, son banquier venait lui apporter la somme nécessaire, en billets de cent et de vingt, en pièces de cinq, en francs et demi-francs et en une masse de gros sous, de petits sous, de pièces de deux centimes et d’un centime. Lorsqu’il fallait payer, par exemple, une livre de viande pour l’office, à trente-cinq centimes le kilo, il tirait de sa bourse dix-huit centimes. C’était sa manie, et Adrien ne s’en montrait pas trop étonné. Mais il ne savait pas pour quelle raison, au moment du lavage de la tête, le vieillard retirait de leur place ces deux sachets de cuir et les fourrait dans ses caleçons, entre les jambes, sous la cuvette. Un jour, se tordant de rire, il en demanda l’explication.

— Ce sera un peu vexant pour toi, dit le patron, mais je vais te le dire. Voilà : on m’a volé une fois ! J’avais un garçon comme toi, mais bête. Il me lavait mal et je le piquais de mes ongles. Un jour, comme j’étais la tête dans la cuvette et tout aveuglé par le savon, le vilain m’a soustrait les deux bourses que je gardais alors, même pendant le lavage, sous les coussins. Bien mieux, étant furieux de mes coups d’ongles, il me renversa la cuvette contre ma poitrine, inondant le lit, et prit la poudre d’escampette, me laissant dans cet état-là, moi, infirme, misérable, qui ne puis vivre un jour sans l’assis-