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il était ainsi. Une loupe à la main, il lisait des journaux.

La vieille ménagère poussa Adrien dans la chambre du maître et disparut sans un mot, ce qui sembla bizarre au jeune homme. À peine put-il murmurer un bonjour.

— Approche-toi, dit l’infirme, le regardant avec des yeux pénétrants.

Adrien fit un pas vers son lit.

— Encore ! Je ne vais pas te manger !

Quand il fut près du lit, le vieux lui attrapa une main, l’attira à lui avec force et se mit aussitôt à lui examiner les ongles. Justement, Adrien les avait longs ; il s’en excusa :

— Je les couperai. Ils sont trop longs.

— N’y touche pas ! Je te le défends. Voilà des ongles qui feront mon affaire. Car ta besogne capitale ici, c’est de me gratter tout le corps et tous les soirs, avant de me coucher, sauf la veille des bains, que je prends deux fois par semaine à une heure du matin. Ces bains durent de deux à trois heures, suivant ton adresse à me débarrasser de la peau morte, et c’est là ta seconde besogne. La troisième, c’est de me laver le matin toute la tête, sauf les deux matins où je sors du bain. Et c’est tout, mon gars !

Ce disant, il donna à Adrien une tape sur le sexe :

— Ha, ha ! Tu en as un morceau !

« Eh bien ! pensa Adrien, ébahi. Pour un boyard, tu dois être d’une jolie espèce ! »

Deux jours plus tard, l’ancien valet, qui ne devait quitter le service qu’après avoir instruit Adrien, dit à celui-ci, lui montrant un gigolo qui traversait l’office, raide, sans un mot, pour gagner l’appartement du vieillard :

— Voici l’amant de M. Dumitrescu. C’est un fonctionnaire du ministère de l’Intérieur. Il vient chaque semaine frotter le derrière de notre patron, le seul endroit de son corps que nous ne frottons pas, comme tu as bien vu. Mais ce frottement-là rapporte au type chaque fois, le double de ton salaire : cent francs !

— Aimables mœurs, dans cette maison ! dit Adrien.

— Oh, ce n’est pas tout ! Le patron ne manquera pas de te faire sa cour, comme il me l’a faite à moi, car il aimerait bien s’en tirer à meilleur compte.