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— Où voyez-vous la révolution ? demanda-t-il à ses limiers.

Quelques nez abîmés, dont Cristin et Adrien, parvinrent à se frayer passage jusqu’au préfet :

— On ne nous permet pas d’entrer !

— Le droit de réunion…

— La constitution…

— Mais oui, mais oui, mes enfants ! Tout cela existe ! Faites, absolument ! Avec de braves révolutionnaires, tels que mes vieux amis les Ramoura et le Dr Stantchoff, la Révolution ne se fera pas aujourd’hui même ! Ils voudront bien penser à mes responsabilités !

Cela ne plut pas à Cristin, mais quelques douzaines de camarades lui en bouchèrent un coin en criant, comme dans les réunions électorales :

— Vive notre préfet ! Vive le « cnéaz » Morouzzi !

Et l’entrée de la salle fut prise d’assaut.

Mais les polices sont malheureuses si elles ne peuvent faire preuve de leur zèle. Comment laisser passer une si belle occasion de justifier son existence de policier ? Ne se souvenait-on pas de la réplique d’un préfet de police modèle qui, devant le rapport quotidien de ses agents affirmant tous les matins que rien ne s’était passé pendant la nuit, s’était exclamé :

— Ah ! Rien ne se passe en ville ? Tout va pour le mieux ? Alors qu’est-ce que nous foutons là ? On n’a plus besoin de nous ! Allez, messieurs : vos démissions !

Aussi, les bons élèves de ce maître policier décidèrent de faire, eux, la révolution. Justement, à la sortie du meeting, les manifestants semblaient se moquer de la police. Ils chantaient trop L’Internationale le jour même d’une fête nationale et criaient trop « Vive Gorki », ce Gorki dont on ne savait qui il était ni où il se trouvait afin de l’appréhender. On bouscula la foule, en l’invitant à se disperser. Cela suffit. Quelques poings levés, quelques cris « séditieux », et vas-y avec les matraques des flics et les sabres des commissaires qui s’abattirent drus sur la masse des têtes. Puis, les arrestations. Une cinquantaine, dont Nitza et Adrien, le visage tuméfié. La nuit, on les passa à tabac encore plus copieusement. Et le lendemain, chaque provincial, flanqué d’un agent, prenait