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tique et révolutionnaire. Voilà une destinée dont tous les écrivains ne peuvent pas s’enorgueillir. Il y faut, en plus du talent, le grand cœur du révolté. »

Une autre circonstance venait s’ajouter à cette exaltation générale et accroître l’autorité morale du meeting projeté. Un révolutionnaire, russe ou bulgare, on ne savait pas bien, mais qui parlait roumain, le Dr Stantchoff, était arrivé depuis quelques jours et tenait des colloques assidus et secrets avec un petit nombre de chefs socialistes. Parmi ceux-ci, Adrien avait aperçu la figure unanimement respectée du vieux révolutionnaire bessarabien Ramoura, l’auteur des livres En exil et Au bagne, récits de sa propre activité dans les rangs du Parti socialiste russe. Il était constamment accompagné de sa fille aînée, la Dsse Enfrossina Ramoura, elle-même révolutionnaire mais, à l’époque, tout comme son père, un peu distante du nouveau mouvement ouvrier. Cristin, initié à ces conciliabules, affirmait que les trois personnages allaient promptement entrer en lice. Il y aurait donc du chambard.

Quelques-uns des habitués affamés du « Bureau » et des plapamari, se donnant des airs de martyrs, déclaraient être prêts à mourir, en ce jour du « meeting décisif », lorsqu’on « jetterait la bourgeoisie à terre ». Nitza était pour la mort. Il en avait marre. Adrien, lui, ne voulait pas mourir ce jour-là, précisément, mais il était parti pour donner son « coup d’épaule ». Tant pis pour les mères qui aiment trop leurs fils !

Il ne s’ensuivit aucune mort, et la bourgeoisie en fut pour sa chaude alerte.

Le préfet de police était alors le jovial « cnéaz » Morouzzi, gentleman barbu et ventru, qui savait toujours prendre les choses par leur bon côté et qui n’avait pas froid aux yeux. Au moment où la salle de l’Éforie craquait de bon peuple et où la police perdait la tête, le magnifique préfet se faisait arranger sa barbe. Sa flicaille, pataugeant dans une neige molle, ne savait plus où le chercher. Et après qu’on se fût bien battu, à l’entrée de la salle seulement, car à l’intérieur on grignotait des pois chiches et on entonnait L’Internationale, le « cnéaz » fut découvert chez un coiffeur. Il apparut, se dandinant comme un canard, le sourire gaiement sceptique.