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Qu’ai-je fait à ces gens ? Ô vie ! Où est l’humanité que j’aime ? »

C’est aux souffrances morales de sa mère qu’il pensait chaque fois que le besoin de médisance du quartier remettait sa conduite sur le tapis. La pauvre femme supportait tout, sauf l’idée de voir son idole passer pour un vaurien. Mais le mois de janvier n’était pas écoulé, qu’une autre histoire allait empoisonner ses vieux jours.

Ce fut l’affaire des bagarres qui se produisirent à Bucarest lors de la grande manifestation de sympathie pour la révolution russe de 1905, organisée par les socialistes à la date du 24 janvier, salle de l’Éforie. Ce jour-là, où la bourgeoisie mène grand tam-tam national pour fêter l’anniversaire de l’Union des Principautés danubiennes sous le sceptre du bon prince Couza en 1859, le parti socialiste décida d’affirmer son existence et d’inaugurer sa nouvelle activité par un imposant déploiement de forces ouvrières qui ferait écho à la manifestation quasi universelle de l’Internationale socialiste, fixée à cette date pour protester contre les massacres tsaristes et l’arrestation de Maxime Gorki.

L’effervescence des esprits qui précéda ce meeting fut telle qu’Adrien, comme tant d’autres néophytes, crut que la dernière heure du capitalisme avait sonné. La presse démocratique était pleine de détails sur les horreurs auxquelles se livrait l’armée du tsar pour venger sa défaite de Mandchourie, en massacrant la paisible population des grandes villes. Le portrait du pope Gapone et celui de Gorki étaient découpés dans les journaux et conservés religieusement comme des icônes. Gorki surtout devint en peu de jours la figure la plus populaire des écrivains révolutionnaires. Un premier recueil de ses nouvelles, paru sous le titre Quelque chose de mieux, de plus humain, se volatilisa en une semaine. On y trouvait notamment les morceaux : Le Lecteur, Konovalov, Makar Tchoudra, Iémilian Pilliaï, Tchelcache. Le soir, l’atelier de plapamaria et le Bureau » se transformaient en salle de lecture. On lisait à haute voix, on relisait du Gorki et on ne s’en rassasiait jamais. Adrien, couchant cette fois dans l’atelier et seul, contemplait le portrait de l’écrivain et pensait :

« Ça, c’est vraiment nouveau dans le monde. Un manœuvre, presque illettré, parvenu à cette puissance d’expression artis-