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franc tous les trente jours, mais encore ils transforment leur chambre en musée, en cuisine et en buanderie. En latrines aussi, parfois.

Quant à ceux-ci, l’étage de Mikhaïl s’enorgueillissait d’une actrice. Celui d’Adrien d’un poète. L’actrice avait au moins la gentillesse d’aider à son ménage et de faire ses « nécessités inexorables » aux w. c. Le poète, lui, plus divin que l’actrice, chiait dans sa chambre. On ne l’eût jamais cru, le voyant, le matin, élégant dans sa misère, se diriger mélancolique vers les ministères qu’il tapait à tour de rôle. Mais c’était un brave homme quand même. Et puis, le public qui le lisait ignorait les coulisses de sa poésie.


Oui, c’était dur. On peinait trop, on gagnait peu, on couchait et on se nourrissait très mal. Pourtant cela allait, cahin-caha. Car, dehors, il n’y avait rien de mieux. Dehors, décembre soufflait sa bise en rafales.

— Tenons bon ! disait Mikhaïl. Défense de se laisser emporter par le cafard. Je te préviens : si je dois quitter cette place en plein hiver, je quitte la Roumanie aussi. Je filerai en Égypte. Je ne veux pas risquer de dépenser mes économies et retourner au paillasson et à la miche noire du « Bureau ». Fini le « Bureau » ! N’oublie pas que la tuberculose nous guette tous les deux. Nous sommes très affaiblis. Encore quelques mois de privations par ce temps de chien, et il ne nous reste plus que le revolver. À moi, tout au moins, qui n’ai pas une mère pour me soigner.

On était décidé à tenir bon. Le sort en décida autrement pour Adrien.

Un soir, quinze jours environ avant la Noël, Nitza vint, essoufflé, apprendre à Adrien que le juge d’instruction Moanga, de Braïla, le citait par mandat comme inculpé dans un « rapt de mineure ». C’était un policier qui avait montré au « Bureau » le mandat d’amener :

— Nous avons répondu que nous ignorions ce que tu étais devenu. Mais on te trouvera. Décampe donc !

Adrien planta tout là et, la nuit même, il partait pour Braïla.

« Rapt de mineure ! se disait-il dans le train. Je rêve ! Quand ai-je ravi ou aidé à ravir une mineure ? »